mercredi 18 janvier 2017

Journal d'un salarié - Le prénom

SolussInfo, il faut le reconnaître, avait ses règles, écrites ou non. L'une d'entre elles - et sans doute l'une des plus aimables - consistait à accueillir comme il se doit tout nouvel arrivant, en lui remettant un paquetage de survie en principe suffisant pour passer sans trop d'encombres les premières journées dans sa boîte d'accueil, et avec l'espoir secret qu'il ne se décide pas à déguerpir tout de suite. Ce n'était pas grand chose, sans doute, car matériellement ce paquetage n'avait guère de valeur ; mais tout nouvel embauché vous le confirmera, il est appréciable de se voir expliquer des trucs tout bébêtes quand on découvre un milieu inconnu : où vais-je manger, qui tient l'armoire à fournitures, au bout de quel couloir se trouve le petit coin, etc.


Parmi ces actions de bienvenue, il y avait la déclaration d'un identifiant d'utilisateur pour accéder au réseau informatique. Tous ces codes tenaient sur six caractères : il suffisait de prendre les trois premières lettres du prénom et du nom, de les accoler, et voilà, un nom d'utilisateur était créé, vous servant désormais de sésame pour les accès réseau, les procédures RH et autres joyeusetés de la vie en entreprise. Ainsi, un certain "Philippe Meynard" n'était plus connu que sous le mnémonique de "phimey". Moi, j'étais "alacho". Bref, sympa, rapide, pratique, tout pour plaire.

Jusqu'au jour où l'on nous annonça l'arrivée d'une nouvelle recrue, en remplacement d'une ex-collègue qui "avait cru bon d'aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte" (comme nous l'annonça avec une moue de dédain le chef de service). Nous étions impatients de souhaiter la bienvenue à notre nouvelle compagne d'infortune, tant nous intriguait quelqu'un pour qui la perspective de tisser des lignes de code à longueur d'année n'était pas encore un cauchemar éveillé.

Patatras, nous ne pûmes jamais la voir. Ou, plus exactement, nous ne vîmes jamais son visage, car le jour de son arrivée elle surgit comme un diable de la salle informatique, les deux mains sur la face en s'efforçant de réprimer de gros sanglots. "Me faire ça à moi !" gémissait celle qui avait failli être une collègue, se dirigeant droit - et pour toujours - vers la sortie.

"Qu'est-ce que tu lui as fait ?" vociféra le chef de service en empoignant le cou encravaté du responsable informatique.

"Bêê mais rien", chevrotait l'autre comme s'il voulait rendre hommage à monsieur Seguin. "Je comprends pas, je t'assure. J'étais en train de lui présenter son pack de bienvenue." En réajustant sa cravate, il continuait. "Les femmes sont bizarres. Allez savoir ! Je venais pourtant de lui donner son identifiant informatique, à cette Salma Lopez".


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire